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Pater Laurentius Blog Homélies et digressions d'un prêtre catholique français sur l'Eglise, la géopolitique, la Russie et quelques autres marottes.

À propos du soi-disant choc islam-christianisme

Pater Laurentius

L'actualité aidant, il y a en France des chrétiens, parmi lesquels des prêtres (j'en connais) pour souscrire au discours selon lequel un choc des civilisations serait inévitable entre le christianisme et l'islam, en particulier en France. Il faudrait donc, selon eux, pour préserver le christianisme, expulser les musulmans du sol français. Ainsi nous aurions la paix.
Au besoin, que l'on en passe pour cela par une guerre civile. De toute façon - disent-ils -, nous l'aurons.
Chaque événement violent, en France ou ailleurs, où des musulmans sont impliqués, devient l'occasion de renchérir dans ce sens.

Ce narratif, porté ou relayé par certains hommes politiques ou commentateurs, est extrêmement simple dans son principe mais en réalité très sophistiqué par le type de mécanismes psychologiques individuels et collectifs auxquels il fait appel.

De quoi s'agit-il ?

Le discours s'appuie essentiellement sur trois ressorts : historique et culturel, politique et psychologique. Il ne s'appuie pas sur un ressort religieux, alors même qu'il a constamment la religion à la bouche. Le raisonnement est purement païen. Il est simpliste, fonctionnant principalement sur le registre de la peur. Il est en réalité pour cette raison, d'après moi, profondément antichrétien.

1. Le ressort historique et culturel

Le discours sur l'incompatibilité entre le christianisme et l'islam part de l'idée que le christianisme serait essentiellement une civilisation, c'est-à-dire un tout unissant la terre, la religion, les mœurs et le droit. La "civilisation chrétienne" est alors postulée comme formant un bloc, une unité géographique, historique, culturelle, juridique, morale et politique, agrégée autour du christianisme.

Le christianisme ainsi défini est équiparé à la civilisation islamique qui formerait pour sa part un bloc symétrique autour de la religion musulmane.
Les deux sont déclarés foncièrement antagonistes.

Dès ce premier stade, la démarche pose au moins deux difficultés.

Une première difficulté tient au fait que le postulat de départ est celui de l'unité de chacun des ensembles. Un examen sommaire de ces "civilisations" suffit à constater que chacune d'entre elles est extrêmement fragmentée et qu'aucune d'elle n'a jamais formé un ensemble homogène. 
L'idée d'une "civilisation chrétienne" unique est un mythe; celle d'une unique "civilisation islamique", aussi. Il y a des ensembles culturels se réclamant du christianisme et des ensembles culturels se réclamant de l'islam. C'est très différent.

- Une deuxième difficulté est aussi une interrogation : pourquoi n'est-il jamais question, dans ces discours, du judaïsme ? Les religions monothéistes sont en effet au nombre de trois : le christianisme, l'islam et le judaïsme. Que devient dans ce discours le judaïsme ? À l'évidence, ce dernier ne peut s'identifier ni au christianisme ni à l'islam. Serait-il dans ce cas le point à partir duquel les discours sur l'islam et le christianisme sont tenus ? Il faudrait alors présenter le discours affirmant le caractère inévitable d'une confrontation entre "civilisation chrétienne" et "civilisation islamique" comme étant en réalité le point de vue du judaïsme. Mais alors : est-ce un point de vue ou bien plutôt un désir, voire peut-être même une stratégie ?
La question est légitime dans la mesure où le discours sur le prétendu choc des civilisations est éminemment politique. Dans le monde d'après Machiavel, qui dit politique dit stratégie.

2. Le ressort politique

Le discours de type "civilisationnel", non seulement se veut politique, mais aussi s'appuie sur un puissant levier politique qui constitue pour lui comme un soubassement, une colonne vertébrale : il s'agit de la frustration collective du corps politique national français dépossédé par étapes, depuis une trentaine d'années, de sa souveraineté. Le discours sur un prétendu choc civilisationnel inévitable entre islam et christianisme oriente cette frustration vers l'affrontement civil, au besoin armé, entre Français "de souche" et Français "de papiers". Ainsi, derrière la promesse fallacieuse d'une réappropriation politique collective, est préparée la disparition intégrale du corps politique lui-même par le moyen de la guerre civile. Depuis l'Antiquité grecque en effet, on sait que la guerre civile conduit à la destruction en profondeur de la cité politique.

La raison pour laquelle l'argument du retour à la souveraineté, malgré son caractère mensonger, a du poids dans l'opinion, tient, d'une part, à l'état de choc extrême dans lequel se trouve le corps politique national privé aujourd'hui à peu près complètement de sa souveraineté; il tient, d'autre part, à la méconnaissance dramatique de l'histoire parmi le peuple, en raison de politiques délibérées de sabordage de l'enseignement de l'histoire à l'école, au collège et au lycée au cours des cinquante dernières années, concommittamment à la généralisation d'une culture du divertissement superficiel dans toutes les classes d'âge, notamment via la télévision et les jeux vidéo.
Le résultat en est une très large incapacité à démasquer immédiatement, comme elle devrait l'être, l'imposture de l'appel à l'affrontement civil dans la perspective du retour à la souveraineté.

3. Le ressort psychologique

Au plan psychologique, le ressort du discours sur le soi-disant choc civilisationnel islam-christianisme s'articule, en France, autour de la nostalgie collective de la grandeur (alliant tristesse liée à la perte et volonté de puissance idéale dans un mécanisme de régression infantile), et du besoin de protection face au chaos du monde (logique de peur irrationnelle et de repli sur le "moi" tout à la fois). Ce sont deux moteurs parmi les plus puissants pour soumettre la raison critique à l'empire des passions et obtenir des individus la soumission à l'ordre autoritaire se présentant alors providentiellement comme sauveur.

Ceux qui aujourd'hui tiennent ce type de discours sont, de manière objective, les ennemis de la possibilité d'une restauration réaliste de la souveraineté française.
La politique, au meilleur sens du terme, est l'art du possible dans la mise en œuvre d'une intention droite. 
C'est précisément la droiture de l'intention qu'il faut vérifier chez un homme politique, autant que les qualités intrinsèques, tant intellectuelles qu'humaines et morales.

Car si la "civilisation", en particulier la "civilisation française", doit avoir un avenir, celui-ci ne pourra advenir que dans une conscience collective renouvelée assumant les fractures de l'histoire pour les transcender. Comment ? En se souvenant que l'unité véritable, solide et durable, est celle qui procède de la conscience pour chacun d'appartenir à une destinée commune reconnue comme vraie, belle et juste. Revenir aux universaux - le Beau, le Vrai, le Juste - , ces universaux qui, en tant qu'ils concernent tout homme, transcendent sans les écraser toutes les cultures et les civilisations.


Pater Laurentius

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