Homélie pour la solennité de la Pentecôte - Année C - 5 juin 2022

La Pentecôte

1. « Quand arriva le jour de la Pentecôte…, ils se trouvaient réunis tous ensemble ».

L’Eglise fête aujourd’hui la Pentecôte, l’effusion de l’Esprit Saint sur les Apôtres. Ceux-ci se trouvent réunis tous ensemble à Jérusalem, suivant les instructions de Jésus. Avant son Ascension, le Christ leur ordonna de ne pas quitter Jérusalem mais d’y « attendre que s’accomplisse la promesse du Père » (Ac 1,4), l’envoi de l’Esprit Saint. L’événement de la Pentecôte advient donc d’abord au sein du groupe des Douze. 

Avec les Apôtres, il y aussi, nous disent les Actes, « des Juifs résidant à Jérusalem, venant de toutes les nations sous le ciel ». Il faut dissiper ici un malentendu assez fréquent : à la Pentecôte, il n’y a pas de païens. Ce sont des juifs, aussi bien des juifs de naissance que des convertis au judaïsme, ceux que l’on appelle aussi des « prosélytes ». Les différentes nations qui sont énumérées dans le texte sont celles d’où sont originaires ces Juifs. Pourquoi tous ces Juifs sont-ils ainsi « venus de toutes les nations sous le ciel » jusqu’à Jérusalem précisément à ce moment-là ? Que font-ils ici ?

Eh bien, c’est simple : ils sont venus parce que nous sommes là 50 jours après Pâques et que, dans le Judaïsme, c’est une grande fête, la fête de « Shavouôt », ou « fête des Semaines » qui, à la fois, inaugure la saison des moissons et commémore le don de la Loi par Dieu à Moïse sur le mont Sinaï. C’est l’un des trois pèlerinages d’obligation prescrits par la Bible hébraïque. Tous ces gens sont là simplement pour obéir à la Loi de Moïse.

Les Apôtres, de leur côté, sont là pour obéir à Jésus. Et tous sont réunis ensemble à Jérusalem, auprès du Temple. 

2. C’est là, dans ce contexte tout à fait particulier, que Dieu va se manifester. Le texte des Actes décrit ainsi la Pentecôte : « Soudain, un bruit survint du ciel comme un violent coup de vent : la maison où ils étaient assis en fut remplie tout entière. Alors leur apparurent des langues qu’on aurait dites de feu, qui se partageaient, et il s’en posa une sur chacun d’eux. Ils furent tous remplis d’Esprit Saint.» 

On pourrait être tenté de voir dans le récit celui d’un évènement ponctuel, d’un acte de puissance de Dieu aussi spectaculaire qu’inattendu, aussi soudain que fugitif.

Ce serait oublier que le texte qui relate la Pentecôte fait puissamment écho à plusieurs passages parmi les plus importants et les plus connus de l’Ancien Testament.

D’abord le livre de l’Exode lorsque, au chapitre 19, la Loi est donnée par Dieu à Moîse sur le Sinaï – ce don qui justement est l’objet de la fête de « Shavouôt » pour laquelle les Juifs de toutes les nations sont rassemblés. « Moïse monta vers Dieu, nous dit le Livre de l’Exode ; le Seigneur l’appela du haut de la montagne… Le troisième jour, dès le matin, il y eut des coups de tonnerre, des éclairs, une lourde nuée sur la montagne et une puissante sonnerie de cor. Dans le camp, tout le peuple trembla. La montagne du Sinaï était toute fumante car le Seigneur y était descendu dans le feu ; la fumée montait, comme la fumée d’une fournaise, et toute la montagne tremblait violemment » (Ex 19, 3. 16-18).

Il y a ensuite le chapitre 37 du Livre d’Ezéchiel, qui parle des ossements desséchés auxquels Dieu va redonner vie : « En ces jours-là, écrit le prophète Ezéchiel, la main du Seigneur se posa sur moi…Je prophétisais comme j’en avais reçu l’ordre… pendant que je prophétisais, il y eut un bruit, puis une violente secousse ; le Seigneur me dit alors : ‘Dis à l’esprit : "Ainsi parle le Seigneur : Viens des quatre vents, esprit ! Souffle sur ces morts et qu’ils vivent ! " … Puis, le Seigneur me dit : "Ces ossements, c’est toute la maison d’Israël" » (Ez 37, 1. 7. 9. 11).

Il y a encore le Livre de Joël qui rappelle la promesse de Dieu à Isräel en ces termes : « Je répandrai mon esprit sur toute chair ; vos fils et vos filles prophétiseront ; même sur les serviteurs et sur les servantes, je répandrai mon esprit ; en ces jours-là, je ferai des prodiges au ciel et sur la terre, du sang, du feu, des nuages de fumée ; alors quiconque invoquera le Nom du Seigneur sera sauvé.» (Jl 3, 1-3.5)

Bien sûr, ce n’est pas une coïncidence. Le récit de la Pentecôte fait directement référence à ces textes majeurs de la Loi et des Prophètes. Il rappelle que l’évènement qui advient, même s’il est soudain, est tout sauf inattendu et isolé. Les Apôtres l’attendaient, suivant la promesse faite par Jésus à l’Ascension. Mais le peuple juif aussi l’attendait, suivant la Promesse faite par Dieu dans l’Ancien Testament. Les mêmes mots et expressions sont utilisés, soulignant qu’il y a là une profonde continuité. Dieu vient accomplir ce qu’il a promis, annoncé et déjà inauguré. La Pentecôte se présente donc comme la réalisation d’une plénitude promise. 

3. La « maison… toute remplie d’Esprit Saint » n’est pas seulement la maison dans laquelle se trouvent les Apôtres, mais aussi toute la Maison d’Israël. C’est la Beth Israel , la « Maison » au sens biblique – c’est-à-dire à la fois le Temple et le Peuple de la Promesse, que l’Esprit Saint, envoyé par le Père uni au Fils glorifié, vient remplir de sa Présence. C’est toute l’histoire sainte qui trouve ici son accomplissement. « Ces ossements » auxquels Dieu redonne vie par le souffle de son Esprit, « c’est toute la maison d’Israël », disait le prophète Ezéchiel. 

Si la Pentecôte n’était qu’un prodige, Dieu pourrait aussi bien en faire un autre qui lui succéderait. Mais la Pentecôte est bien plus qu’un prodige. Elle est l’accomplissement total et définitif de la promesse faite par Dieu à Israël depuis le commencement. Ce qui s’accomplit à Jérusalem lors de la Pentecôte, c’est la consécration de l’Eglise comme Nouvelle Jérusalem assumant pleinement l’histoire du peuple hébreu. L’Eglise des Apôtres est le Nouveau Temple, fruit et réceptacle de la Nouvelle Alliance scellée dans le sang de Jésus ; elle est la Jérusalem Nouvelle par laquelle l’Esprit Saint qu’elle reçoit pourra être communiqué à toutes les nations sous le ciel. 

Ainsi, la Pentecôte inaugure l’accomplissement du projet de salut de Dieu pour le monde. Dieu descend en plénitude parmi nous à travers l’Eglise des Apôtres, dans la continuité de toute l’histoire du salut.

En ce jour où nous goûtons cette joie du don de l’Esprit Saint en plénitude, accueillons-le dans l’action de grâce pour tous les fruits qu’il porte (cf. Is 11,1-4 : sagesse, intelligence, science, conseil, force, piété filiale, crainte du Seigneur ;  cf. Ga 5,22 : amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, foi, douceur et maîtrise de soi). Le premier fruit de l’Esprit Saint, c’est la vie de la grâce, cette vie que nous pouvons expérimenter au plus haut point dans la prière et dans les sacrements, en particulier dans l’Eucharistie. 

Là est notre Patrie, le lieu de notre joie profonde, de notre liberté véritable, le lieu où se manifeste et se déploie en nous l’amour infini de Dieu pour nous.

Par l’intercession de la Vierge Marie et de tous les saints, que Dieu aujourd’hui, dans l’Esprit Saint, sanctifie l’Eglise, renouvelle nos cœurs et illumine le monde.

Amen !