Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Pater Laurentius Blog Homélies et digressions d'un prêtre catholique français sur l'Eglise, la géopolitique, la Russie et quelques autres marottes.

"On ne vend pas la tradition intacte de l’Eglise pour le plat de lentilles d’une place de chapelain au Forum de Davos"

Pater Laurentius

Par Édouard Husson sur Le Courrier des Stratèges, 9 février 2022

 

"Du point de vue de l’Eglise aussi, nous sommes entrés dans un nouveau siècle il y a une quinzaine d’années environ. Le XXè siècle catholique a couvert la période 1914-2005, du déclenchement de la Première Guerre mondiale à la mort de saint Jean-Paul II. 

1914, moment où l’Europe a essayé de se suicider collectivement, avait représenté un véritable tournant pour les relations entre l’Eglise et la culture moderne. Effrayée par la catastrophe du premier conflit mondial, la culture moderne s’est scindée en deux: une partie s’est radicalisée (en donnant le communisme et le fascisme) tandis qu’une autre partie tâchait de renouer avec l’Eglise. Il suffit de relire l’éditorial de Léon Blum dans “Le Populaire”, en 1939, après l’élection de Pie XII – enthousiaste de voir l’un des plus fermes opposants au nazisme sur le trône de Saint Pierre  (un point de vue bizarrement abandonné à partir des années 1960 mais redécouvert par les historiens aujourd’hui) pour comprendre le changement par rapport au début du XXè siècle, lorsque l’Etat républicain rompait le Concordat napoléonien dans la douleur. 

Ce nouvel état d’esprit a bien sûr été renforcé dans l’après-Seconde guerre mondiale. Malgré les leçons de la Première guerre, l’Allemagne avait essayé d’entraîner l’Europe une seconde fois dans l’abîme. Après l’écrasement de la Bête à Berlin en 1945, se dressèrent des générations d’Européens qui voulurent définitivement tirer les leçons de la catastrophe  des années 1914-1945 . Le Concile Vatican II est largement sorti de l’envie retrouvée de dialoguer qu’avaient l’Eglise et le monde . Comme sous Pie XII l’Eglise avait de plus anticipé la décolonisation, il fut facile d’élargir le dialogue à l’ensemble du monde. Du bon pape Jean à Jean-Paul II, l’Eglise et le monde explorent une nouvelle façon de travailler ensemble. 

On n’exagérera pas la convergence. Le conflit déclenché par “Humanae Vitae“, l’encyclique de Saint Paul VI consacrée à la morale sexuelle, ou l’opposition farouche de saint Jean-Paul II aux deux guerres d’Irak témoignaient de ce que l’Eglise n’était pas disposée à confondre “aggiornamento” et confusion des sphères. 

En fait, la grande nouveauté des années 1920 à 2000 est la capacité, impensable au XIXè siècle, de l’Eglise et du monde à parler en harmonie de la liberté.  L’Eglise a inventé la liberté moderne le jour où le Christ a demandé que l’on rende “à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu” (Matthieu XXII,21). mais au XIXè siècle, à force de combattre les tenants d’une liberté sans Dieu, l’Eglise avait pu donner l’impression qu’elle défendait au besoin Dieu sans la liberté. Les guerres mondiales et les totalitarismes ont changé la donne dans la mesure où “ceux qui croyaient au ciel” et “ceux qui n’y croyaient pas” ont regardé ensemble le désastre d’Auschwitz et du Goulag, du génocide arménien et du démocide khmer rouge.  

Cependant cette période-là s’est terminée de manière imperceptible pendant la deuxième partie du pontificat de Jean-Paul II. Le pape polonais le savait, d’ailleurs, et il en souffrait: après la chute du communisme, une grande partie de l’Occident a été prise à nouveau de démesure.

Le libéralisme retrouvé a quitté le cadre raisonnable de la nation pour un mondialisme destructeur. Loin de tirer les leçons de la crise de l’individualisme que Michel Houellebecq décrivait roman après roman, un certain nombre d’Occidentaux se sont engouffrés dans les impasses du “gender”. Loin de voir que la doctrine sociale de l’Eglise, rappelée et actualisée par Jean-Paul II dans Centesimus annus, traçait la voie d’une économie de la libre entreprise et de la créativité personnelle, l’Occident s’est abandonné aux délices d’une création monétaire illimitée contrebalancée par des délocalisation massives d’emplois vers les pays à très bas salaire.

De creuset de la révolution informatique, la Silicon Valley s’est transformée en chaudron du transhumanisme. 

Le problème principal que traverse l’Eglise vient de ce qu’elle a été prise au dépourvu par une telle évolution. En tout cas sa hiérarchie. Benoît XVI a certes proposé un tournant. Mais beaucoup de ses frères évêques ont trouvé insupportable d’être réveillé du doux dogmatisme de la bonne entente avec le monde. Ils ont fini par décourager le pape bavarois. 

Et François est arrivé, avec toutes les illusions d’une compagnie de Jésus qui a malencontreusement troqué, depuis les années 1930, l’étude de saint Thomas d’Aquin pour celle de Hegel (et de Marx, Heidegger etc…). Voilà notre François plongeant avec délices dans l’écologie moderne. Sans se rendre compte que le discours désespérant, catastrophiste des écologistes modernes est bien peu chrétien. Le voilà, d’une manière générale, opinant du chef à toutes les constructions intellectuelles ou les pratiques liberticides  – carrément anti-chrétiennes – d’un Jeffrey Sachs, d’un Klaus Schwab, d’un Bill Gates, d’un Mark Zuckerberg, ces (p)artisans d’un nouvel asservissement de l’humanité. 

Bien sûr, François n’est pas seul en cause. Il a un peu partout du répondant dans une Eglise qui confond le pays des bisounours et “le meilleur des mondes”.  Ainsi le Journal La Croix, constatant que le Vatican baisse la garde sur la question des discussions parlementaires concernant l’euthanasie en Italie, parle de “tournant stratégique du Vatican sur la bioéthique“. 

Au Courrier des Stratèges, nous n’avons pas l’intention de jouer les béni-oui-oui d’une hiérarchie ecclésiastique assoupie et prête à renier l’esprit des Béatitudes pour ne pas dissiper l’illusion iréniste d’un “éternel aggiornamento”.  La dignité absolue de la personne humaine, la liberté inviolable de la conscience, la distinction ineffaçable  entre le “royaume de César” et celui de Dieu sont des choses qui ne se négocient pas. On ne vend pas la tradition intacte de l’Eglise pour le plat de lentilles d’une place de chapelain au Forum de Davos."

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commentaires